Slovaquie : élections régionales, entre social-démocratie et extrémisme

3 Décembre 2013



C'est une élection aussi surprenante qu'inquiétante. Après le deuxième tour, la victoire écrasante du parti SMER (social-démocrate) dans 6 des 8 régions du pays est largement assombrie par la victoire inédite et inattendue de Marian Kotleba, ex-leader du groupe d'extrême droite Slovenska Pospolitost et leader d'un petit parti nationaliste slovaque, à Banska Bystrica.


Pavol Frešo, président de SDKU | Crédit Photo --- hnonline.sk
Pavol Frešo, président de SDKU | Crédit Photo --- hnonline.sk
Malgré cette secousse inattendue, les résultats des élections régionales reflètent assez fidèlement la répartition de forces politiques du pays. La Slovaquie demeure « rouge », aussi bien au niveau régional que national. En 2012, le parti SMER avait formé le premier gouvernement avec un parti majoritaire dans l'histoire postcommuniste du pays. Sa position en régions s'est renforcée grâce à une très bonne organisation verticale du parti – une organisation traditionnelle s'appuyant sur une importante base de militants.

Aujourd'hui, cette stratégie les avantage face aux nouveaux partis de droite. Ces derniers ressemblent plus à de petites « entreprises politiques », reposant sur un petit comité de 150 ou 200 membres, avec peu de bases et sans aucune prétention régionale. Fortement enraciné sur le plan régional, le parti SMER a remporté 20% de députés en plus comparé à 2009. Contrairement à la droite, la gauche a réussi à fédérer les personnalités politiques qui comptent sur le plan régional, tout en réussissant à renouveler ses effectifs. À l'échelle nationale, ces élections faisaient office de « petit référendum » pour le gouvernement social-démocrate.

La victoire de Marian Kotleba jette un froid

Or, le triomphe du parti SMER se trouve complètement minoré au regard de « l’hystérie généralisée » autour de la victoire de Marian Kotleba, ouvertement néonazi, devenu le président de la région de Banska Bystrica. Pour la petite histoire, Banska Bystrica fut le centre du soulèvement national slovaque de 1944, contre le gouvernement nazi imposé par le Troisième Reich. Militant de longue date, Marian Kotleba est l'ancien leader du groupuscule d'extrême droite « Communauté slovaque » dissout encore en 2006 par la Cour Suprême. Cette dernière condamnant des activités qui « incitaient à la haine et à l'intolérance raciale, religieuse, autant que politique ».

Depuis l'annonce des résultats, le débat public est dominé par la quête frénétique du « coupable ». Qui est responsable de l'apparition de cette « tâche brune » sur la carte électorale de la Slovaquie ? On retrouve l'essor d'un vote protestataire devenu récurrent à l'échelle européenne. Un phénomène qui repose grandement sur l'échec des partis traditionnels pour répondre à la pauvreté et aux effets de la crise. Dans le cas de Banska Bystrica, la région la plus pauvre du pays, c'est la question du chômage et de la problématique gestion politiques et sociales des populations roms. Même victorieux dans les urnes, Marian Kotleba ne pourra compter sur aucun soutien, et sera isolé politiquement, au vu de la composition du Parlement régionale. Ainsi, il s’agit davantage d‘un memento pour les partis traditionnels, qui par un souci de rester politiquement corrects, choisissent délibérément de fermer leurs yeux.

Néanmoins, cet épisode est symptomatique de la décomposition de la droite slovaque traditionnelle, dont l'absence de programme est telle qu’elle s'efface et laisse la place aux extrémistes. En ce sens, le fait que la presse de droite accuse le Premier ministre Robert Fico « d'avoir permis » l'élection de Kotleba paraît presque absurde. De l'autre côté, l'élection de Kotleba ne doit pas être exagérée et surestimée non plus, comme le fait la presse « toujours en quête de sensation ». Plus dommageable, l'élection de Marian Kotleba occulte complètement l'importante percée des députés indépendants – ayant obtenue 30% de sièges en plus, par rapport à 2009 – qui prennent plus de puissance face aux partis traditionnels, à l'échelle régionale. Le phénomène est passé sous silence.

La débâcle de la droite traditionnelle

La droite, morcelée et divisée, a encore échoué à mobiliser les électeurs. L'opposition souffre de l'absence de leadership. Sans véritable projet politique, elle ne représente pas une alternative plausible, même au niveau régional. Comparé aux élections de 2009, le nombre de députés de SDKU (Slovenská demokratická a kresťanská únia - Demokratická strana | Union démocrate et chrétienne slovaque - Parti démocrate) a chuté de près de 50%.

« Bratislava n'est pas la Slovaquie ». Robert Fico, président du gouvernement slovaque, a partagé tout son mépris pour une des deux régions où les sociaux-démocrates n'ont pas emporté les élections. La seconde exception demeure la région de la capitale, Bratislava, où Pavol Frešo, le président de SDKU, a réussie a gagné. Or la victoire était largement prévue. La capitale, la région la plus développée et riche du pays, demeure un bastion traditionnel des conservateurs. Alors même que la victoire était historiquement promise, les forces de droites ont dû se mobiliser pour ne pas connaître l'ultime humiliation qu'aurait été une défaite de Pavol Frešo. Plus symptomatiques, les commentateurs politiques ont interprété le choix de se présenter de Pavol Frešo à une élection régionale comme un aveu de faiblesse. Pourquoi celui qui devrait être un des leaders de la politique nationale, et qui devrait prétendre au poste de Premier ministre, en tant que président du parti de droite le plus important, se concentre-t-il sur une élection régionale ? Dans cet épisode beaucoup y voient la reconnaissance par la droite elle-même, de son incapacité à faire face aux sociaux-démocrates qui écrasent l'opposition désunie et impuissante.

Une décentralisation à repenser ?

Ces élections ont encore une fois soulevé la question du bien-fondé du modèle de l'administration régionale. Depuis le vote de la nouvelle loi sur la décentralisation de 2002, la Slovaquie est divisée en 8 « régions ». Le taux de participation aux dernières élections était de l'ordre de 20%. Ce taux d’abstention reflète l'indifférence et la difficile identification de la population à des institutions dont ils ne comprennent pas le rôle.

Face à ce constat, certains hommes politiques sont allés jusqu'à proposer l'élimination des régions, en affirmant que deux niveaux – le national et le communal – suffisent pour la Slovaquie qui ne compte que 5,5 millions d'habitants… Cette solution aurait le principal avantage de réduire les coûts et de faire des économies non négligeables en période crise. Mais cela équivaudrait aussi à une ré-centralisation, favorisant les grands partis traditionnels aux dépens des indépendantes, seules oppositions crédibles aujourd'hui en Slovaquie, face à la domination sans opposition des sociaux-démocrates sur la scène politique nationale. En plus, cette ré-centralisation serait complémentaire à la centralisation l'administration publique d'ores et déjà orchestrée par SMER par la réforme « ESO » de ministre de l'Intérieur Robert Kaliňák.

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